Journal de voyage d’Aléza Theran.
Deuxième étape, Valfleuri.
Je n’ai pas ménagé ma monture afin
d’atteindre Valfleuri avant la nuit. Cet endroit a longtemps été redouté par
les habitants de Richterre, car les rares intrépides qui avaient osé s’y
aventurer n’en étaient jamais revenus. Pour tous, c’était une région maudite et
peuplée de démons. Mon grand-père y était venu avec le prince Rolan afin de
rejoindre Kalick, à l’époque où il vivait ici avec celle qui avait enflammé son
cœur. En ce temps-là, des marais parsemés de sables mouvants constituaient un
piège mortel pour les voyageurs, mais désormais une verte prairie les avait
remplacés.
Kalick et Alban étaient à
l’origine de ce miracle et encore une fois mon grand-père était là pour en
témoigner. Une partie des habitants de Richterre s’étaient réfugiés ici pour
échapper aux monstres qui semaient la terreur un peu partout sur le territoire.
Une nuit, ils avaient tous ressenti une vague de chaleur qui avait chassé
toutes leurs douleurs et apaisé leur cœur. Au matin, les marais n’étaient plus
et devant leurs yeux ébahis se trouvait une étendue d’herbe haute parsemée de
fleurs. Mon grand-père fut incapable de m’expliquer ce qui s’était passé, mais
ce jour-là les Terres-Sombres avaient disparu pour donner naissance au
Valfleuri, un endroit calme et reposant qui n’effrayait plus personne. Comme
j’aurais aimé interroger d’autres témoins de cet extraordinaire changement,
malheureusement, cela se passait il y a plus de soixante-dix ans et ceux qui avaient
assisté à ce miracle n’étaient plus de ce monde. Du moins, j’en étais
persuadée.
En arrivant dans le village, je me
mis tout de suite à la recherche d’une auberge. J’étais épuisée et mes
investigations pouvaient bien attendre que je me sois reposée. Je trouvai bien
une place, mais aucun établissement susceptible d’accueillir des voyageurs. À
bout de forces, je descendis de ma monture et en la prenant par la bride, je me
dirigeai vers un vieil homme qui depuis un certain temps m’observait.
— Bonsoir, où puis-je trouver
un endroit où dormir ? lui demandai-je.
— Si tu n’es pas venue pour
rendre visite à un membre de ta famille, tu n’as rien à faire ici et tu devras
camper à la belle étoile, me répondit-il.
Cet accueil me surprit. Son ton
n’était pas vraiment agressif, mais il n’avait rien d’amical non plus.
Avaient-ils oublié le sens de l’hospitalité dans ce coin reculé ? J’avais
faim, j’étais fatiguée et il faisait trop froid pour envisager de passer la
nuit dehors. Je ne m’étais pas encombrée d’une couverture ou de provisions et
je n’avais qu’une gourde pour apaiser ma soif. En préparant mon itinéraire, j’avais
pris soin de m’arrêter chaque nuit dans un village où je pourrais trouver une
auberge ou une simple grange, mais je n’avais pas imaginé une seule seconde
qu’on puisse me refuser un abri ainsi qu’un morceau de pain.
— Vous avez une bien étrange
façon d’accueillir les visiteurs ! lui fis-je remarquer, un peu énervée.
— Je le reconnais, mais les
étrangers ne sont pas les bienvenus. Nous ne désirons qu’une chose : vivre
en paix.
— Je ne suis pas une
étrangère, répliquai-je, agacée. Je suis de Richterre, tout comme vous, et je
ne vois pas en quoi ma présence peut représenter un danger.
— Que viens-tu faire
ici ? demanda le vieil homme, d’un ton neutre. Assouvir ta curiosité,
comme tous ceux qui sont venus avant toi. Nous n’avons plus rien de commun avec
ceux qui habitaient ici autrefois et nous voulons juste qu’on nous laisse
tranquilles.
— Je ne suis pas une simple
curieuse, mais une historienne. Je souhaite que le seigneur Kalick soit reconnu
à sa juste valeur. Non comme un monstre qui a attiré le mal sur Richterre, mais
comme un homme bon et courageux qui nous a sauvés.
— Qui t’a mis de telles idées
en tête ? demanda-t-il, soudain intéressé.
— Mon grand-père, Faron, il a
voyagé aux côtés du seigneur Kalick. Il en parlait comme d’un héros, un être
exceptionnel, et en sa mémoire, je veux rétablir la vérité.
— Faron ! Je me souviens
de lui et si tu es de sa famille, tu n’es plus une étrangère.
Je le regardai bouche bée en me
demandant si j’avais bien entendu. Si mon grand-père était encore de ce monde,
il aurait plus de cent ans. Or, personne ne pouvait vivre aussi
longtemps ! Certes, celui qui se trouvait face à moi avait le visage ridé,
malgré tout, il se tenait bien droit et ne devait pas avoir beaucoup plus de
soixante ans. Devant mon expression ébahie, il éclata de rire et me demanda de
le suivre.
Mon hôte s’appelle Brohir et une
fois arrivé chez lui, il m’a offert un morceau de pain et du fromage pour
apaiser ma faim. Tandis qu’il faisait chauffer un peu d’eau pour la tisane, il
m’a raconté tout ce dont il se souvenait. Au début, je pensais rendre ce
journal public, mais cela sera impossible, car certaines révélations, comme
celles que m’a faites Brohir, ne doivent pas être divulguées, du moins, pas
tant que la magie sera aussi mal considérée. Néanmoins, je vais continuer à
tout noter, pour être certaine de ne rien oublier et, qui sait, un jour le
monde sera peut-être prêt à connaître ces secrets.
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