Journal de voyage d’Aléza Theran.
Première étape, Druscal.
Une journée de cheval fut
suffisante pour atteindre Druscal. Durant des années, j’ai recherché des
portraits représentant Kalick et Alban, mais après le conflit, ils ont
malheureusement tous été brûlés. Bien sûr, mon grand-père me les avait décrits,
mais j’aurais tant aimé voir à quoi ils ressemblaient. Il me restait néanmoins
un espoir, l’auberge de ce modeste village. Ils y étaient venus si souvent et y
avaient toujours été bien accueillis. Je savais qu’à l’époque, un tableau se
trouvait dans la salle commune et j’espérais qu’il n’avait pas subi le même
sort que les autres.
C’est Arval, le petit-fils
d’Adrian, qui tient désormais l’établissement et j’ai dû longuement lui
expliquer les raisons de ma démarche pour qu’il accepte enfin de me parler. Il
m’avoua que sur son lit de mort, Adrian avait fait promettre à son fils de ne
pas détruire le tableau auquel il tenait tant et qui, depuis que la paix était revenue,
se trouvait dans sa chambre. Pour lui, comme pour mon grand-père, le seigneur
Kalick était un homme exceptionnel et il ne pouvait admettre qu’on le qualifie de
monstre.
Arval me fit entrer dans la
cuisine, loin des regards indiscrets, puis il partit au grenier et en revint
quelques minutes plus tard avec le tableau soigneusement emballé dans un drap
usé. Il le déposa devant moi, sur la table, et ce fut un peu tremblante que je
le déballai.
Je vous l’ai déjà dit, mon
grand-père me les avait décrits, néanmoins, je restai un moment stupéfaite. Le
dragon de ses récits était beaucoup plus imposant que je le pensais et ceux qui
se trouvaient à ses côtés, bien plus beaux que je les imaginais. Je reconnus
sans difficulté Rolan, car notre actuel roi Severan lui ressemble énormément.
Comme lui, il a les cheveux noirs comme le jais et les yeux aussi sombres que
la nuit. Mon regard s’attarda un temps sur Alban et je dois bien l’avouer, si
je l’avais rencontré à cette époque, je me serais volontiers abandonnée dans
ses bras. Malgré tout, ce fut Kalick qui retint toute mon attention. Comment
vous le décrire ? Il était aussi grand et bien proportionné qu’Alban, malgré
tout, il paraît plus fluet. Ses traits fins et sa peau si pâle lui donnent une
apparence irréelle, mais son regard n’est pas tel que mon grand-père me l’avait
décrit. L’artiste s’était contenté de peindre ses yeux en blanc alors qu’en
réalité, ils étaient comme les opales blanches de Samerez, ces pierres hors de
prix que l’on trouve chez les joailliers des quartiers chics. Quand elles sont
dans l’ombre, elles paraissent d’un blanc laiteux, mais dès qu’un rayon de
lumière les traverse, elles scintillent d’une multitude de couleurs. J’aurais
aimé vivre à l’époque de mon grand-père pour admirer ce regard si particulier,
car aucune gravure ne saurait lui rendre vraiment hommage.
Je parvenais enfin à mettre un
visage sur ces noms qui m’étaient déjà si familiers, mais je ne pouvais me
résoudre à laisser ce trésor pourrir au fond d’un grenier. Arval ne fut pas
facile à convaincre, mais quelques pièces d’or firent disparaître ses
scrupules. Je défis la gravure de son châssis et l’enroulai soigneusement dans
une toile cirée pour ne pas l’abîmer durant mon voyage.
Je suis si heureuse. Une journée
de voyage et déjà une trouvaille exceptionnelle ! Demain, après une bonne
nuit de sommeil, je reprendrai la route vers ma seconde étape, Valfleuri qui
autrefois s’appelait les Terres-Sombres.